Extrait<br />| I Sur la route de Nice &agrave; Antibes, Nestor Broquerel faisait trotter ferme son petit cheval roux. La nuit &eacute;tait venue depuis longtemps. Une lune voil&eacute;e r&eacute;pandait sur les jardins et les villas, sur les bois silencieux, sa lueur diffuse. L&rsquo;air piquant et parfum&eacute; cinglait Broquerel au visage. Le voyageur releva son col en marmottant&nbsp;:<br />&ndash;&nbsp;Pas chaud, ce soir&nbsp;! Je ferai faire une petite flamb&eacute;e, tout &agrave; l&rsquo;heure.<br />Puis il se replongea dans le calcul mental des b&eacute;n&eacute;fices que lui rapporteraient les affaires trait&eacute;es aujourd&rsquo;hui.<br />Il &eacute;tait depuis plusieurs ann&eacute;es repr&eacute;sentant d&rsquo;une importante maison d&rsquo;&eacute;picerie, et d&rsquo;un gros fabricant d&rsquo;huiles. On l&rsquo;estimait pour sa probit&eacute;, son entente du m&eacute;tier. Bien qu&rsquo;ayant femme et enfants, il avait pu faire de notables &eacute;conomies, plac&eacute;es dans une bonne banque de Marseille. De plus, la petite maison qu&rsquo;il habitait &agrave; Antibes lui appartenait. Les uns disaient de lui&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est un homme qui sait son affaire&nbsp;&raquo;&nbsp;; les autres&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est un brave homme.&nbsp;&raquo; Et certains &ndash; ceux qui connaissaient le caract&egrave;re de Mme Nestor Broquerel &ndash; ajoutaient&nbsp;: &laquo;&nbsp;C&rsquo;est un homme malheureux.&nbsp;&raquo; La route &eacute;tait relativement peu fr&eacute;quent&eacute;e, ce soir. Cependant, plusieurs automobiles crois&egrave;rent ou d&eacute;pass&egrave;rent la voiture de Broquerel. Il ne leur accorda pas d&rsquo;attention, sauf &agrave; l&rsquo;une d&rsquo;elles qui faillit accrocher au passage son tilbury. C&rsquo;&eacute;tait une petite torp&eacute;do, o&ugrave; se trouvaient assis deux hommes. Aucun de ceux-ci ne riposta &agrave; l&rsquo;&eacute;nergique observation de Nestor. Mais ils parurent presser encore l&rsquo;allure de leur machine, et disparurent &agrave; un tournant de la route. Broquerel grommela, avec une indignation m&eacute;prisante&nbsp;:<br />&ndash;&nbsp;Brutes de chauffards, va&nbsp;!<br />Le petit cheval trottait toujours d&rsquo;un pas bien &eacute;gal. De temps &agrave; autre, son ma&icirc;tre l&rsquo;effleurait de la m&egrave;che du fouet. Il secouait les oreilles, en signe de protestation, et n&rsquo;en marchait pas plus vite. Maintenant, la voiture avait d&eacute;pass&eacute; Juan-les-Pins. Une senteur r&eacute;sineuse flottait dans la fra&icirc;cheur de l&rsquo;air. &Agrave; gauche, la mer se devinait, endormie sous la vague clart&eacute; lunaire. Le son d&rsquo;un piano arrivait d&rsquo;une villa, et des voix d&rsquo;enfants s&rsquo;appelaient dans un bois de pins...|