Extrait<br />| I<br />Dans la campagne endormie sur la lande obscure, par la nuit sans lune, le long des chemins &eacute;troits bord&eacute;s de haies d&rsquo;&eacute;pine, des ombres se glissaient, furtives, aux aguets. Elles h&eacute;sitaient longtemps avant de se rejoindre, &eacute;coutant, avant de s&rsquo;y d&eacute;cider, le bruit prudent des pas, et si elles s&rsquo;accostaient enfin, elles le faisaient en silence, annon&ccedil;ant leur pr&eacute;sence par un simple geste.<br />Et par ces silhouettes que seul un &oelig;il exerc&eacute; e&ucirc;t distingu&eacute;es des arbres et des buissons, tant &eacute;taient profondes les t&eacute;n&egrave;bres, la lande et les champs immobiles s&rsquo;animaient peu &agrave; peu, se transformaient en un sombre fleuve qui lentement, sans bruit, s&rsquo;acheminait vers le m&ecirc;me but.<br />Ce but, faible lueur &agrave; peine perceptible au travers des rideaux tr&egrave;s &eacute;pais, c&rsquo;&eacute;tait la chapelle du ch&acirc;teau de Kermoal.<br />Une &agrave; une, les ombres franchirent la porte &agrave; peine entrouverte. Un jeune homme de fi&egrave;re mine examinait chacun au passage, puis souriait et laissait passer. Les bancs de bois se garnirent d&rsquo;une foule recueillie qui attendit en priant que sonn&acirc;t minuit.<br />La chapelle, d&rsquo;assez vastes dimensions, &eacute;tait &eacute;clair&eacute;e de mille bougies dispos&eacute;es dans de hauts cand&eacute;labres de cristal&nbsp;; l&rsquo;autel disparaissait sous une masse extraordinaire de fleurs blanches, de gerbes neigeuses que, depuis la veille, les paysans d&rsquo;alentour et les p&ecirc;cheurs de la c&ocirc;te cornouaillaise apportaient, dissimul&eacute;es sous leurs blouses ou leurs mantes.<br />Car un grand &eacute;v&eacute;nement se d&eacute;roulerait, &agrave; l&rsquo;heure de minuit, au ch&acirc;teau&nbsp;: le comte Ely de Tr&eacute;guidy mariait sa fille Ho&euml;lle, et &agrave; dix lieues &agrave; la ronde, la jeune fille, avec raison, avait &eacute;t&eacute; surnomm&eacute;e &laquo;&nbsp;la petite f&eacute;e de Kermoal&nbsp;&raquo; par tous ceux que son c&oelig;ur g&eacute;n&eacute;reux, son inlassable et tendre d&eacute;vouement ne laissaient jamais dans la peine, la souffrance ou le besoin sans y porter aide ou rem&egrave;de. Et chacun voulait &ecirc;tre l&agrave; pour &ecirc;tre t&eacute;moin de son bonheur.<br />Or, en ce printemps de l&rsquo;an 1792, cruelle &eacute;poque o&ugrave; toute c&eacute;r&eacute;monie religieuse &eacute;tait interdite par des lois sc&eacute;l&eacute;rates, l&rsquo;assistance &agrave; la Sainte Messe pouvait fort bien conduire un chr&eacute;tien t&eacute;m&eacute;raire dans les prisons de la R&eacute;volution, ces prisons dont on ne revenait pas...|