Extrait<br />| I<br />Ce mois de mai 1862, les habitants de Favigny attendaient avec quelque curiosit&eacute; l&rsquo;arriv&eacute;e de dona Encarnacion, comtesse de Villaferda. Non point que cette curiosit&eacute; s&rsquo;adress&acirc;t &agrave; la noble dame qui, dix ans auparavant, &eacute;tait venue faire un court s&eacute;jour &agrave; la maison des Belles Colonnes. Dona Encarnacion n&rsquo;avait laiss&eacute;, dans la petite ville comtoise, qu&rsquo;un souvenir d&eacute;sagr&eacute;able et le d&eacute;sir de ne plus la revoir. Mais on savait qu&rsquo;elle serait, cette fois, accompagn&eacute;e de sa belle-fille, une jeune cousine de quatorze ans, que don Rainaldo Fauveclare y Travellas, comte de Villaferda, lui-m&ecirc;me &agrave; peine &acirc;g&eacute; de vingt ans, avait &eacute;pous&eacute;e trois mois auparavant. Cette union, normale en Espagne, surprenait ici. Mais surtout on souhaitait conna&icirc;tre la pauvre jeune cr&eacute;ature ainsi livr&eacute;e &agrave; la pesante domination de Mme de Villaferda.<br />Le soir o&ugrave; elle arriva, nul ne l&rsquo;aper&ccedil;ut derri&egrave;re les stores baiss&eacute;s de la voiture qui amenait &agrave; Favigny les deux comtesses. Cet &eacute;quipage, attel&eacute; de vigoureux et beaux chevaux, conduit par un cocher espagnol &agrave; mine sombre et solennelle, gagna rapidement la rue de l&rsquo;Eau-qui-chante, toute murmurante du clapotis des ondes cascadantes venues de la montagne qui s&rsquo;&eacute;pandaient en plusieurs ruisselets aux alentours des &laquo;&nbsp;maisons Fauveclare&nbsp;&raquo;.<br />Car elles &eacute;taient deux. Mais on ne donnait habituellement ce nom qu&rsquo;&agrave; la plus ancienne, le vieux logis aux murs de granit sombre, aux ouvertures en plein cintre, qui se dressait au bord de la route sur laquelle ouvrait de plain-pied la porte clout&eacute;e de fer. L&rsquo;autre, dont le mur s&rsquo;accolait au sien, &eacute;tait la &laquo;&nbsp;maison des Belles Colonnes&nbsp;&raquo;.<br />Au milieu du XVIe si&egrave;cle, la vieille race des Fauveclare &eacute;tait repr&eacute;sent&eacute;e par deux fr&egrave;res jumeaux, Denys et Thibaut. Celui-ci, intelligent, ambitieux, point trop charg&eacute; de scrupules, r&eacute;ussit &agrave; s&rsquo;insinuer dans les bonnes gr&acirc;ces de Philippe II, roi d&rsquo;Espagne, alors ma&icirc;tre de la Franche-Comt&eacute;. Ce prince fit de lui un de ses agents secrets, particuli&egrave;rement charg&eacute; de missions d&eacute;licates qui s&rsquo;apparentaient quelque peu &agrave; l&rsquo;espionnage &ndash; en France et chez les petits souverains allemands. Sans doute s&rsquo;acquitta-t-il de ces fonctions &agrave; la satisfaction de son ma&icirc;tre, car celui-ci daigna lui choisir une &eacute;pouse en la personne d&rsquo;une tr&egrave;s noble et tr&egrave;s riche h&eacute;riti&egrave;re, dona Maria de Travellas, comtesse de Villaferda...|