Extrait<br />| I<br />En cet apr&egrave;s-midi de fin juillet, le duc de Pengdale avait convi&eacute; toute la jeunesse aristocratique du comt&eacute; &agrave; une r&eacute;ception donn&eacute;e pour le vingti&egrave;me anniversaire de son fils unique, lord Charles Brasleigh. Des acteurs mondains occupaient le th&eacute;&acirc;tre dress&eacute; dans la galerie de marbre, des couples dansaient dans les salons d&eacute;cor&eacute;s avec une somptuosit&eacute; princi&egrave;re, d&rsquo;autres s&rsquo;en allaient flirter &agrave; travers les magnifiques jardins d&rsquo;Elsdone Castle dont l&rsquo;entretien, disait-on, repr&eacute;sentait une lourde charge pour le duc actuel, les revenus de celui-ci, probablement par suite d&rsquo;une mauvaise gestion, &eacute;tant devenus sensiblement inf&eacute;rieurs &agrave; ceux de ses pr&eacute;d&eacute;cesseurs.<br />Le ma&icirc;tre de c&eacute;ans, grand vieillard au front chauve, &agrave; la mine indolente et distingu&eacute;e, circulait au milieu de ses h&ocirc;tes avec l&rsquo;aide d&rsquo;une canne dont ses jambes rhumatisantes ne lui permettaient plus de se passer. Il adressait un mot &agrave; l&rsquo;un, &agrave; l&rsquo;autre, avec l&rsquo;air de courtoise indiff&eacute;rence qui lui &eacute;tait habituel dans ses relations mondaines. De fait, lord George Brasleigh, huiti&egrave;me duc de Pengdale, ne s&rsquo;int&eacute;ressait gu&egrave;re qu&rsquo;&agrave; lui-m&ecirc;me et &ndash; dans de moindres proportions &ndash; &agrave; son entourage familial. Sa nature molle, sans ressort, &eacute;go&iuml;ste et orgueilleuse, n&rsquo;avait jamais &eacute;t&eacute; capable d&rsquo;une amiti&eacute; s&eacute;rieuse. Par contre, elle faisait de lui une proie toute d&eacute;sign&eacute;e pour la femme habile, souple, ambitieuse, qui, vingt-deux ans auparavant, r&eacute;ussissait &agrave; se faire &eacute;pouser par lui en secondes noces et lui donnait le fils vainement d&eacute;sir&eacute; au cours de sa premi&egrave;re union.<br />Elle &eacute;tait su&eacute;doise, de bonne famille bourgeoise, fille d&rsquo;un professeur de musique. Sa voix, tr&egrave;s remarquable, lui valait de grands succ&egrave;s dans les concerts o&ugrave; elle se faisait entendre, particuli&egrave;rement en Russie et en Allemagne. Sans r&eacute;elle beaut&eacute;, cette jeune fille aux allures s&eacute;rieuses et au sourire discret, poss&eacute;dait cependant une s&eacute;duction enveloppante qui agit aussit&ocirc;t sur le duc, plus &acirc;g&eacute; qu&rsquo;elle de vingt-cinq ans. Bien que ce mariage repr&eacute;sent&acirc;t une m&eacute;salliance telle qu&rsquo;il n&rsquo;en avait jamais exist&eacute; chez les Brasleigh, l&rsquo;une des plus anciennes, des plus illustres familles d&rsquo;Angleterre. Ebba devint duchesse de Pengdale. Elle ne jouit pas tr&egrave;s longtemps de son triomphe, d&rsquo;ailleurs quelque peu g&acirc;t&eacute; par la froideur que lui t&eacute;moignait en g&eacute;n&eacute;ral l&rsquo;aristocratie du royaume. Apr&egrave;s six ann&eacute;es de mariage, elle mourut d&rsquo;une pleur&eacute;sie au cours d&rsquo;un voyage en Italie...|