Extrait<br />| I<br />Dans la rue du Cherche-Midi, au rez-de-chauss&eacute;e d&rsquo;une maison &eacute;troite et haute, existait depuis nombre d&rsquo;ann&eacute;es un magasin d&rsquo;antiquit&eacute;s, qui avait appartenu d&rsquo;abord &agrave; un sieur Erdhal, se disant sujet hollandais, mais que des gens initi&eacute;s assuraient originaire de la tr&egrave;s prussienne province de Sil&eacute;sie... Apr&egrave;s fortune faite &ndash; ou bien sa mission secr&egrave;te r&eacute;alis&eacute;e, pr&eacute;tendaient certains de ces gens clairvoyants que personne n&rsquo;&eacute;coute &ndash; l&rsquo;antiquaire s&rsquo;&eacute;tait retir&eacute;, en c&eacute;dant son fond &agrave; un Italien du nom de Ricardo Clesini.<br />Ce personnage arrivait de Rome, o&ugrave; il tenait auparavant un commerce de joaillerie. Sa femme l&rsquo;accompagnait &ndash; la belle Sephora, ancienne danseuse &agrave; l&rsquo;Alfieri de Florence, qu&rsquo;un accident de voiture avait rendue infirme... Ils s&rsquo;&eacute;taient install&eacute;s dans la maison de la rue du Cherche-Midi, achet&eacute;e par eux, et s&rsquo;&eacute;taient aussit&ocirc;t activement occup&eacute;s de leur nouveau commerce. Ricardo allait et venait, en province, &agrave; l&rsquo;&eacute;tranger, pour l&rsquo;achat de meubles ou d&rsquo;objets anciens. Ce petit homme maigre, chauve, au teint jaune et aux yeux brillants, poss&eacute;dait un flair extraordinaire pour d&eacute;nicher l&rsquo;objet rare, et une adresse non moins remarquable pour l&rsquo;obtenir &agrave; petit prix... La vente regardait surtout Mme Clesini. Elle s&rsquo;y entendait fort bien et, tout en roulant gracieusement le client, s&rsquo;arrangeait pour qu&rsquo;il se trouv&acirc;t g&eacute;n&eacute;ralement satisfait de son march&eacute;.<br />Un apr&egrave;s-midi, vers deux heures, un homme v&ecirc;tu avec une certaine &eacute;l&eacute;gance ouvrit la porte du magasin dont le timbre r&eacute;sonna longuement. Au fond, une porti&egrave;re de damas vert fut soulev&eacute;e, une femme apparut et dit en italien, d&rsquo;une voix calme, au timbre profond&nbsp;:<br />&ndash;&nbsp;Ah&nbsp;! c&rsquo;est vous, Manbelli.<br />&ndash;&nbsp;Votre message m&rsquo;a &eacute;t&eacute; remis tout &agrave; l&rsquo;heure, signora.<br />&ndash;&nbsp;Venez par ici.<br />Orso Manbelli traversa le magasin encombr&eacute;, mais o&ugrave; chaque meuble, chaque objet, &eacute;tait plac&eacute; dans un ordre parfait et un sens artistique incontestable... Sephora l&rsquo;attendait, sa belle t&ecirc;te aux lourds cheveux noirs ressortant sur le fond vert de la porti&egrave;re qui retombait &agrave; demi derri&egrave;re elle. Son visage d&rsquo;une p&acirc;leur ambr&eacute;e, dont quelques traits rappelaient l&rsquo;origine s&eacute;mitique de sa famille maternelle, portait les marques d&rsquo;une sant&eacute; pr&eacute;caire&nbsp;; une de ses mains serrait le bec d&rsquo;ivoire de la canne qui aidait sa jambe infirme. Mais rien n&rsquo;aurait pu &eacute;teindre le feu de ses yeux noirs, l&rsquo;ardeur inqui&eacute;tante de ce regard o&ugrave; br&ucirc;lait une vie intense...|