Un coeur de femme est un roman de Paul Bourget paru en 1890.<br />Extrait<br />|UN ACCIDENT DE VOITURE<br />Par une bleue et claire apr&egrave;s-midi du mois de mars 1881 et vers les trois heures de relev&eacute;e, une des vingt &laquo;plus jolies femmes&raquo; du Paris d&#39;alors,&mdash;comme disent les journaux,&mdash;Mme la comtesse de Candale, fut la victime d&#39;un accident aussi d&eacute;sagr&eacute;able qu&#39;il peut &ecirc;tre dangereux et qu&#39;il est vulgaire. Comme son cocher tournait l&#39;angle de l&#39;avenue d&#39;Antin pour gagner la descente des Champs-&Eacute;lys&eacute;es, le cheval du coup&eacute; prit peur, fit un &eacute;cart et s&#39;abattit en heurtant la voiture contre le trottoir si maladroitement que le brancard de gauche cassa net. La comtesse en fut quitte pour une forte secousse et quelques secondes d&#39;un subit saisissement nerveux. Mais toutes les combinaisons de sa journ&eacute;e se trouvaient bouscul&eacute;es du coup; or la liste en &eacute;tait longue, &agrave; juger par l&#39;ardoise blanche encadr&eacute;e de cuir et plac&eacute;e sur le devant de la voiture avec la petite pendule et le portefeuille aux cartes de visite. Aussi le joli visage de la jeune femme, ce mince visage aux traits d&eacute;licats, au profil t&eacute;nu, aux frais yeux bleus et qu&#39;&eacute;clairait une si chaude nuance de cheveux blonds, exprimait-il une contrari&eacute;t&eacute; voisine de la col&egrave;re tandis qu&#39;elle descendait de son coup&eacute; au milieu d&#39;une foule d&eacute;j&agrave; compacte. La curiosit&eacute; g&eacute;n&eacute;rale dont elle se vit l&#39;objet acheva de la mettre en m&eacute;chante humeur, et ce fut avec une voix tr&egrave;s dure, elle si juste d&#39;ordinaire, si indulgente m&ecirc;me pour ses gens, qu&#39;elle dit au valet de pied:<br />&mdash;&laquo;Fran&ccedil;ois, aussit&ocirc;t que le cheval sera debout, vous laisserez ce maladroit d&#39;Aim&eacute; se d&eacute;brouiller tout seul&hellip; Vous irez au cercle de la rue Royale. Il me faut une voiture avant une demi-heure chez Mme de Tilli&egrave;res.&raquo;<br />Et elle s&#39;achemina, de son pied chauss&eacute; de bottines presque trop fines pour la moindre marche, vers la rue Matignon, o&ugrave; habitait l&#39;amie dont elle venait de jeter le nom au pauvre Fran&ccedil;ois. Ce dernier, un grand gar&ccedil;on tout penaud dans sa longue livr&eacute;e brune, p&acirc;le encore de l&#39;effroi que lui avait caus&eacute; la chute du cheval, n&#39;avait pas fini de r&eacute;pondre:&mdash;&laquo;Oui, madame la comtesse,&raquo; que d&eacute;j&agrave; son camarade, d&eacute;gringol&eacute; du si&egrave;ge et rouge, lui, d&#39;humiliation, le gourmandait sur sa gaucherie &agrave; l&#39;aider. Mais Mme de Candale avait fendu la masse des curieux. Elle ne songeait plus qu&#39;au bouleversement de son apr&egrave;s-midi...|