M&eacute;moires d&rsquo;un jeune homme rang&eacute; est un roman de Tristan Bernard publi&eacute; en 1899.<br />Extrait<br />I-D&Eacute;PART POUR LE BAL<br />| La jeunesse de Daniel Henry se passa alternativement &agrave; m&eacute;priser les prescriptions de la mode, et &agrave; tenter de vains efforts pour s&rsquo;y conformer.<br />Il employa des ann&eacute;es de sa vie &agrave; r&ecirc;ver la conqu&ecirc;te de ces fant&ocirc;mes insaisissables&nbsp;: un chapeau &eacute;l&eacute;gant, un col de chemise bien d&eacute;gag&eacute;, un veston bien coup&eacute;. Les haut-de-forme, si reluisants et s&eacute;duisants tant qu&rsquo;ils habitaient le magasin orn&eacute; de glaces, contractaient au contact de la t&ecirc;te de Daniel Henry une sorte de maladie de vulgarit&eacute;. Les collets de veston montaient jusqu&rsquo;&agrave; la nuque, au m&eacute;pris absolu des cols de chemise, dont ils ne laissaient plus rien voir.<br />Daniel avait &eacute;t&eacute; &eacute;lev&eacute; par sa famille dans cette id&eacute;e que les tailleurs fashionables et chers n&rsquo;&eacute;taient pas plus adroits que certains tailleurs &agrave; bon march&eacute; qui habitaient dans les rues &eacute;troites du quartier Montorgueil.<br />&mdash;&nbsp;D&rsquo;ailleurs, disait la m&egrave;re du jeune Henry quand elle avait d&eacute;couvert un nouveau tailleur en chambre, c&rsquo;est un homme qui travaille pour les premi&egrave;res maisons de Paris, et l&rsquo;on peut avoir pour quatre-vingt-dix francs chez lui un v&ecirc;tement qu&rsquo;on paierait facilement le double ailleurs.<br />Daniel s&rsquo;&eacute;tait command&eacute; un habit de soir&eacute;e &agrave; l&rsquo;occasion de sa vingti&egrave;me ann&eacute;e. C&rsquo;&eacute;tait son deuxi&egrave;me habit. Il s&rsquo;&eacute;tait beaucoup d&eacute;velopp&eacute; en trois ans, et le premier &eacute;tait d&eacute;cid&eacute;ment trop &eacute;troit. Pendant plusieurs semaines, il avait v&eacute;cu dans l&rsquo;esp&eacute;rance de ce v&ecirc;tement neuf, qui devait le mettre enfin au niveau social d&rsquo;Andr&eacute; Bardot et de Lucien Bayonne, deux jeunes gens qu&rsquo;il devait rencontrer au bal des Voraud, et qui l&rsquo;avaient toujours m&eacute;dus&eacute; par leur inaccessible &eacute;l&eacute;gance...|