Un mari pacifique est un roman de Tristan Bernard publi&eacute; en 1901.<br />Extrait<br />I-EN RETARD<br />| Quand Daniel rentra du bureau, apr&egrave;s avoir attendu assez longtemps chez le coiffeur, Berthe &eacute;tait d&eacute;j&agrave; en toilette de soir&eacute;e. Avec une irritation que ne calmait point la pr&eacute;sence sur son menton d&rsquo;un petit bouton rouge, la jeune femme affirma qu&rsquo;il &eacute;tait pr&egrave;s de huit heures. &laquo;&nbsp;Et la carte des Capitan, ajouta-t-elle, porte sept heures trois quarts exactement.&nbsp;&raquo; Daniel essaya de pr&eacute;tendre qu&rsquo;il n&rsquo;&eacute;tait que sept heures et demie et que, lorsqu&rsquo;on dit sept heures trois quarts, c&rsquo;est huit heures&hellip; Vraiment, ce n&rsquo;&eacute;tait pas gai de se mettre en retard avec des gens qui vous invitent pour la premi&egrave;re fois. M.&nbsp;Capitan, un ancien commis de magasin, avait d&ucirc; sa fortune et son &eacute;l&eacute;vation &agrave; son air distingu&eacute;, toujours trop distingu&eacute;, semblait-il, pour les positions o&ugrave; il se trouvait&nbsp;; quand il fut parvenu &agrave; la grande opulence, on commen&ccedil;a &agrave; s&rsquo;apercevoir qu&rsquo;il ressemblait &agrave; un prestidigitateur hongrois. Tel qu&rsquo;il &eacute;tait, il impressionnait beaucoup le jeune m&eacute;nage. Berthe et Daniel avaient &eacute;t&eacute; surpris et charm&eacute;s de cette invitation &agrave; d&icirc;ner. Ils s&rsquo;attendaient tout au plus &agrave; une carte pour le bal.<br />Daniel enleva pr&eacute;cipitamment ses v&ecirc;tements un peu crott&eacute;s. La femme de chambre &eacute;tait sortie chercher des &eacute;pingles neige pour le front de madame, et la cuisini&egrave;re ne savait pas o&ugrave; &eacute;tait l&rsquo;habit. Daniel se souvint tout &agrave; coup qu&rsquo;il n&rsquo;avait qu&rsquo;un bouton de perle pour les deux boutonni&egrave;res de son devant de chemise. L&rsquo;autre bouton avait &eacute;t&eacute; perdu et Daniel portait pour toute sa vie le remords de n&rsquo;avoir pas attach&eacute; toute la garniture avec un fil de soie&nbsp;; ce qui est une pr&eacute;caution indispensable quand on porte des plastrons mous.<br />Il dut se contenter de deux boutons ordinaires retrouv&eacute;s au fond d&rsquo;un tiroir. Mieux valait &ecirc;tre modeste et correct avec de la nacre que d&rsquo;afficher un luxe de perles fines incomplet. Une autre d&eacute;ception, au moment d&rsquo;enfiler ses chaussures, attendait le malheureux d&icirc;neur. La semelle de la bottine gauche &eacute;tait trou&eacute;e. Il avait bien des bottines non vernies toutes neuves avec de triples semelles. Peut-on, avec l&rsquo;habit, mettre des bottines non vernies&nbsp;? Son ami Julius pr&eacute;tendait, mais &eacute;tait-ce bien s&ucirc;r&nbsp;? que c&rsquo;&eacute;tait le chic am&eacute;ricain...|